Cet ITV a été réalisé par Anne Cécile Juillet du Télégramme
Héloïse Dufour, vous êtes la présidente de l’association « Inversons la classe », et vous êtes intervenue au congrès de Rennes ce mercredi. Qu’est-ce qu’une classe inversée ? \a Pour le dire simplement mais sans être réducteur, c’est le fait de consacrer le temps en classe avec les élèves à les faire travailler. Quant au temps autonome des élèves, on leur met à disposition les activités les plus simples : la prise de connaissance de documents, le fait de se familiariser avec des notions qui seront vues ensuite en classe.
Est-ce qu’on peut dire, que c’est, en gros, « la leçon à la maison et les devoirs en classe » ?
Justement, non ! Cela serait plus parlant pour le grand public, mais cela enverrait un message bien trop réducteur. Parce qu’en réalité, c’est toute une réflexion sur la place de l’élève par rapport à son apprentissage mais aussi sur la place de l’enseignant qui est en jeu.
Quelles sont ces places, justement ?
Il y a plusieurs types de classes inversées, mais ce que l’on retrouve de commun à toutes, c’est vraiment cette volonté de rendre l’élève plus acteur de son apprentissage, voire producteur. Pour faire simple, dans le rapport enseignant-élève, on passe du face à face au côte à côte. Visuellement, dans une classe inversée, très souvent, on va trouver des élèves en train de travailler en groupe, et un professeur qui n’est pas au tableau face à sa classe, mais au milieu des élèves, qui navigue entre les groupes pour les accompagner dans leur travail.
On sort de l’image classique, voire antique, de l’enseignement magistral,
c’est ça ?
c’est ça ?
C’est ça\a . Bien que, et c’est important de le préciser, cette image soit parfois un peu caricaturale. Par ailleurs, il faut bien préciser que les programmes restent absolument inchangés, et cela demande beaucoup de travail au professeur puisqu’il doit fournir des « capsules » (vidéo, la plupart du temps) pour lancer le travail des élèves.
On peut les retrouver à tous les niveaux de l’enseignement ?
Oui, on trouve des classes inversées du primaire à l’enseignement supérieur, des grands lycées parisiens aux petites écoles primaires rurales, de l’Essec (École supérieure des sciences économiques et sociales, NDLR) au REP + (réseau d’éducation prioritaire renforcée, NDLR). Ce sont pour la plupart des initiatives individuelles des enseignants, dans le public comme dans le privé. C’est un mouvement. Tout le travail de l’association « Inversons la classe » a été justement d’impulser et d’accompagner ce mouvement. Si on prend les chiffres de 2017, 20.000 enseignants, soit plus d’un million d’élèves en France sont concernés par la classe inversée. Ce n’est pas anecdotique !
D’où vient ce concept ?
Historiquement, le terme est d’origine anglo-saxonne : « flipped classroom ». C’est un terme récent, mais ce qu’il recouvre est en fait beaucoup plus ancien : ce sont les pédagogies actives. Elles s’inspirent des pédagogies Freinet, Montessori, tout ce mouvement européen du début du XXe siècle qu’on a appelé à l’époque « l’éducation nouvelle ». Avec cette idée de mettre l’élève en position d’acteur de ses apprentissages, et pas seulement de récepteur.
Pour plus de réussite ?
L’idée c’est de ne laisser personne sur le carreau, et notamment les élèves en difficulté. Au contraire, la motivation c’est de mieux prendre ces élèves-là en charge, en pouvant passer plus de temps avec eux sur ce dont ils ont besoin. Quand un enseignant est face à une classe de 30-35 élèves, matériellement, il n’a pas le temps de s’occuper de tout le monde. Cela défavorise non seulement les élèves les plus en difficulté, mais aussi les meilleurs élèves. Parce que l’enseignant va finalement se concentrer sur ce qu’on va appeler le « ventre mou » de la classe, et aller au rythme de la moyenne de la classe. Résultat des courses : pour les uns ça va trop vite, pour les autres ça va trop lentement. Ce que permet la classe inversée, c’est de mieux s’adapter au rythme de chaque élève.
Aujourd’hui, le support numérique est indissociable de la classe inversée. Toutes les familles n’ont pas les moyens d’offrir une tablette ou un ordinateur à ses enfants…
C’est une question importante à poser, une préoccupation majeure. Les enquêtes montrent que 90-95 % des familles avec enfants sont équipées en numérique et connectées à internet. Mais il reste ces quelques pourcentages qui ne le sont pas. Il n’y a pas de formule miracle. Les enseignants gèrent ça de manière individuelle. Soit en leur donnant accès au CDI, soit en classe avec du matériel… Ce sont des choses auxquelles les enseignants font attention.
Est-ce que le fait de ne pas être en face à face avec l’enseignant ne favorise pas la dissipation, voire l’indiscipline ?
L’une des grandes motivations des enseignants, c’est justement de mieux s’occuper de tous les élèves. Cela permet de mieux gérer la classe, parce que les élèves sont au travail, pas dans une situation passive. Plus impliqués, il est fort probable qu’ils soient moins dissipés. Mais attention, la classe inversée ce n’est pas LA méthode miracle pour sauver l’éducation et faire que tous les élèves d’un coup soient ravis d’apprendre et se mettent au travail ! Et tous les enseignants n’ont pas forcément la fibre de fonctionner comme cela.
Comment êtes-vous perçus par l’Éducation nationale ?
Sa position a évolué. On a dû faire un gros travail de pédagogie. Aujourd’hui, on remarque une forme de bienveillance à l’égard de la classe inversée. L’Éducation nationale reste attentive parce que certaines classes inversées sont mieux faites que d’autres. Au niveau local, les situations varient. Mais je peux dire qu’avec l’Académie de Rennes, la collaboration est exemplaire.
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